
Avec cet article, j'aimerais lever un tabou: celui des mamanges. Si vous ne les connaissez pas, il s'agit de toutes ces femmes qui ont perdu un enfant pendant leur grossesse. C'est malheureusement bien plus fréquent qu'on ne le pense, sauf qu'on en parle encore très peu.
Même si c'était leur premier enfant, ces femmes sont devenus des mamans tout le temps où elles ont porté leur bébé, et elles ont le droit d'être reconnues comme telle. Et même si elles sont déjà mamans d'enfants en pleine santé, leur souffrance ne peut pas être minimisée et chaque bébé devrait pouvoir être comptabilisé. D'ailleurs, je vous partage le lien d'une pétition pour que ces bébés puissent être reconnus par l'état français:
A l'occasion de cet article, j'ai collaboré avec la créatrice Maia et Zoé. Elodie est une créatrice de vêtements pour mamans, et pour femmes avant toute chose. Et ce qui m'a touchée chez elle, c'est qu'elle a récemment sorti une ligne de t-shirt "Mother" que l'on peut personnaliser en ajoutant le nombre de coeurs souhaités pour nos enfants, mais aussi des petites étoiles pour ces bébé partis trop tôt. Sur son e-shop, vous trouverez des t-shirts à personnaliser à votre image (gros crush pour le t-shirt "Queen") et d'autres vêtements (dont certains en coton biologique, créés à la demande dans un atelier parisien), ainsi que des accessoires de toute beauté!
Elodie, la créatrice, est maman de deux petites filles (qui ont inspiré le nom de sa marque), mais elle est également mamange. C'est pourquoi j'ai pensé à elle lors de la conception de cet article. Ces t-shirts "Mother" permettent à leur niveau de lever un tabou en offrant de la visibilité à tous les enfants que nous avons portés. Je lui ai donc présenté cette interview et elle a gentiment accepté d'offrir un t-shirt à Lucie, qui le porte divinement bien!
Encore merci à elle!
Son e-shop:

Lucie est une collègue à moi. C'est une femme pétillante, dynamique, et qui a toujours le sourire. C'était son 1er enfant et elle est devenue mamange en 2021.
Elle fait partie de cet entourage qui me soutient en me préparant de bons petits plats les semaines de chimiothérapie. Et je me suis rendue compte que j'aurais davantage pu l'accompagner lorsqu'elle traversait cette tragédie. Malheureusement, on ne sait jamais comment réagir tant qu'on ne fait pas l'expérience soi-même d'une épreuve.
Afin de sensibiliser un maximum de personnes, je lui ai donc demandé de partager son parcours de résilience. Je ne souhaite à personne d'y être confronté, mais son témoignage pourrait sans doute vous aider à acccompagner une mamange dans le futur...
De quel accompagnement as-tu bénéficié pendant ton séjour à l'hôpital?
Après la violence de l’évènement, je n’arrivais pas à réaliser ce qui venait de m’arriver. Seules mes douleurs suites à la césarienne et le fait que je ne ressentais plus les mouvements de mon bébé, me ramenaient à la réalité. J’étais en plein cauchemar et je voulais que tout s’arrête !
Ma césarienne a eu lieu un vendredi après-midi. J’étais à 5 mois de grossesse et la poche des eaux s’était fissurée. Mon placenta était bas et recouvrant. Les médecins ne pouvaient donc pas me faire accoucher par voie basse. Le pédiatre m’avait prévenu qu’à ce stade de la grossesse, mon bébé avait peu de chance de survivre et qu’à sa naissance, il ne pleurera peut-être même pas. Les médecins m’avaient mise sous surveillance et je m’attendais donc à avoir une césarienne plus tôt que prévu…seulement « plus tôt que prévu » signifiait dans ma tête « allez, tiens encore le coup 1 mois, 2 mois serait l’idéal… »… Le jour précédent ma césarienne, les médecins m’ont mis les points sur les « i » et mon espoir a été zappé, tout simplement ils m’ont exposé les faits tels qu’ils étaient, même si cela était difficilement acceptable pour moi ou même pour eux : ce n’était pas une question de mois, ni de semaine…ni de jours, mais d’heures avant la césarienne. Je ne voulais pas y croire ! Je m’étais tellement battue pour qu’elle survive (car je venais d’apprendre que c’était une fille) et voilà qu’on me disait qu’il n’y avait plus rien à faire, que si on attendait davantage ma vie serait aussi en danger…
L’équipe médicale m’a alors expliqué les différentes étapes : la préparation à la césarienne, la césarienne et la salle de repos.
Le soir, la césarienne passée, j’étais désemparée et je n’arrêtais pas de pleurer la perte de mon bébé. L’équipe présente a été très attentionnée. Ils m’ont montré la tenue avec laquelle ma fille, que nous avions nommée Eléna, avait été habillée : un nid d’ange rose parsemé de papillons. J’aurais aimé lui avoir choisi une tenue. A ce moment-là, je commençais mes préparatifs et les vêtements de bébé n’avaient pas été encore achetés. Ils m’ont dit qu’elle resterait un temps dans la chambre mortuaire de l’hôpital. J’étais désemparée, car après ma césarienne, je me sentais faible et mon corps n’était que douleur. Je n’avais pas la force de me déplacer. Les produits utilisés pour l’anesthésie s’évacuaient tout doucement et mon corps était parcouru de tremblements. On m’a alors remis un livret avec les démarches mortuaires à effectuer. Dans un premier temps, mon angoisse était de ne pas pouvoir déclarer Eléna à temps à l’état civil. Le week end, les guichets étaient fermés. Avec mon conjoint, nous avons donc dû attendre le mardi pour avoir un rendez-vous, pour déclarer la naissance de notre fille ainsi que son décès.
Le personnel hospitalier a proposé à mon conjoint de rester dormir à l’hôpital sur un lit de camp. C’était très rassurant pour moi de me sentir près de lui car tout mon être se sentait alors vide et abandonné. J’entendais les bébés des autres chambres pleurer au loin et je pensais à mon petit ange, dans son berceau, dans la chambre mortuaire, à un autre étage de l’hôpital.
Le week end, à l’hôpital, tout le personnel médical n’est pas présent et j’ai dû attendre le lundi pour rencontrer le médecin et voir une psychologue. Ces deux jours ont été réellement un enfer. Heureusement, les infirmières et les aides-soignantes présentes prenaient le temps de m’écouter, de me conseiller. Certaines restaient plus longuement et se confiaient à moi sur leur parcours personnel et nous avions alors une discussion sur la vie, ses embûches, les joies et les malheurs. Une infirmière s’était occupée de ma fille à sa naissance et m’a écrit une lettre tellement touchante. Merci à elle d’avoir si bien pris soin de ma fille et d'avoir su l’accompagner. Je lui suis tellement reconnaissante ! Une boite m’a été donnée avec des photos d’Eléna, son bracelet de naissance, son petit bonnet et un cadre avec son empreinte de main et pied. Un livret écrit par l’association SPAMA et l’association SPARADRAP se nommant « Repères pour vous, parents en deuil d’un tout-petit » m’avait été remis. Ce livret donne aussi des informations sur les démarches funéraires à entreprendre, sur le processus du deuil, la reprise du travail et les lieux où trouver du soutien.
Le retour à la maison : comment se sont passés les 1ers jours ?
J’étais incapable d’entreprendre quoi que ce soit ! Des questions tournaient en boucle. Je m’en voulais tellement, mais de quoi ? Je ne comprenais pas finalement ce qui avait provoqué tout ceci. Est-ce que j’avais mal fait quelque chose ? Est-ce que les médecins auraient pu agir autrement pour sauver notre fille ?
Nous avions pris contact avec une chambre funéraire et choisi le cercueil. Nous avions choisi où enterrer Eléna. Il restait la cérémonie religieuse à organiser avec le prêtre. Mon père et mon conjoint ont beaucoup fait. Ensuite, avec la famille proche, nous nous sommes réunis pour organiser le déroulé de la cérémonie, pour rendre hommage à notre fille du mieux que l’on pouvait ; c’est tout ce que je pouvais faire : lui offrir un beau cercueil, choisir de belles musiques et lui lire un texte que je lui avais écrit quand j’étais sur mon lit d’hôpital. Nous avions fixé la date de la cérémonie par rapport à ma date de sortie d’hôpital.
J’étais épuisée, puis en colère. C’était tellement injuste ce qui arrivait ! Je voulais ensuite avancer malgré la douleur. J’essayais de faire des choses mais la condition physique joue sur le moral et je n’étais pas du tout remise de l’opération. Je me sentais affaiblie aussi bien moralement que physiquement.
L'importance de l'entourage pour prendre le relais et l'aide de professionnels
Ma famille proche était présente pour me soutenir, ainsi que mes amis en m’envoyant des messages, en m’appelant par téléphone pour prendre de mes nouvelles.
Mes parents sont venus pour nous donner quelques coups de main (pour du repassage et de l’administratif lié au décès d’Eléna). Physiquement, j’étais diminuée, je ne pouvais pas beaucoup me déplacer ou porter de choses.
J'ai apprécié qu'on prenne régulièrement de mes nouvelles. Je remercie les personnes qui étaient présentes, même simplement pour m’écouter, quand j’en avais besoin.
J’ai décidé d’aller voir une autre psychologue. Cela m’a aidée un peu. Ensuite, je pense, qu’il ne faut pas hésiter à en changer de suite si on voit qu’on n’accroche pas avec la personne, si on sent que cela ne nous fait pas réfléchir pour nous sentir mieux. Pour ma part, j’ai suivi quelques séances qui m'ont permis de mettre en avant ce qui me culpabilisait, la douleur que je ressentais et l’envie aussi de redevenir la femme joyeuse que j’étais. Elle m’a expliqué qu’il fallait un temps pour chaque étape du deuil et qu’il était important pour moi de ne pas aller trop vite. La douleur que je ressentais était normale. Le plus difficile était d’accepter ce qui était arrivé. Et puis, aussi j’ai beaucoup lu : des livres de femmes ayant traversé le même drame et aussi des livres spirituels, sur la vie après la mort. Je pense que chacun trouve du réconfort comme il peut. Je lis énormément et cela m’aidait à retrouver du calme et à m’occuper l’esprit, sans avoir mes souvenirs de la césarienne et ma culpabilité qui tournaient en boucle.

A quel moment as-tu commencé à reprendre pied ? Qu’est-ce qui a fait que tu as commencé à construire ton chemin de résilience ?
A travers l’acceptation du décès d’Elena et mes lectures qui m'ont apporté du réconfort, je me suis mise petit à petit à refaire certaines activités comme de la cuisine.
Quel est ton souvenir le plus douloureux au cours de ta résilience ? Et le plus doux?
Accepter les évènements médicaux qui ont provoqué le décès d’Eléna a été très difficile.
Me dire qu’Eléna est sans doute quelque part au ciel me réconforte. Me dire que c’est mon enfant et qu’elle m’avait choisie comme sa maman aussi.
Est-ce que la peur de l'oubli a pu être un obstacle à ta résilience?
Oui, sûrement au début, car je n’arrivais pas à accepter la mort de mon bébé. Je m’étais projetée dans le futur en m’imaginant avec mon bébé, et voilà que tout était bouleversé. Il fallait tout de même continuer à vivre en reprenant certaines activités. Je ne pouvais pas m’interdire d’être heureuse.
Comment penses-tu avoir construit ta résilience ?
En laissant le temps panser les maux… En me disant que j’avais fait tout ce qui était en mon pouvoir et qu’il n’y avait plus rien à faire au moment de programmation de la césarienne. Parfois, l’Homme ne peut lutter contre l’inévitable et il doit continuer à vivre.
Comment gères-tu l’absence de souvenirs concrets ?
Ma fille a vécu peu de temps. Les seuls souvenirs que j’ai d’elle sont son corps sur moi, son visage, ses mains, ses pieds, ses gémissements et ses gestes. J’aurais voulu partager bien plus de moments avec elle et prendre le temps de la regarder, de prendre soin d’elle tout simplement, en la protégeant. Je m’accroche au souvenir de son apparence en trouvant des similitudes avec le visage de son papa ou le mien. On projette toujours un avenir pour son enfant que l’on veut voir grandir et s’épanouir. Mais il m’est aujourd’hui impossible de fabriquer ces souvenirs de partage d’une maman avec son enfant ; ils ne sont présents que dans mes rêves.
Aujourd’hui, quelles sont les choses sur lesquelles tu te concentres et qui te rendent heureuse ?
J’aimerais de nouveau donner la vie. Je n’oublierai jamais ma fille Eléna, mais je serai heureuse d’avoir de nouveau un bébé. Quand je pense à Eléna, je pense à son visage, ses petites mains et cela me remplit de joie d’avoir ce souvenir. Elle nous ressemblait beaucoup, nous ses parents et nous avions remarqué des similitudes.
Lorsque nous travaillions ensemble, je ne savais pas si je pouvais en parler ou pas et j’imagine que je ne suis pas la seule. Comment te sens-tu par rapport à ça? Est-ce perpétrer la mémoire de ta fille ou est-ce trop difficile ?
J’imagine que la situation de la perte d’un bébé a mis certaines personnes dans mon entourage mal à l’aise et elles ne savaient pas comment agir. Je comprends qu’on ne sache pas comment aborder la chose avec moi. Si on souhaite en parler, je ne suis pas contre. Eléna est ma fille, elle a existé sur Terre et existera toujours pour moi. Elle fait partie de moi. Pour moi, parler d’elle, c’est se souvenir de son existence.
Qu’est-ce qui est encore difficile à l’heure actuelle ?
La question « avez-vous des enfants ? ». Je ne sais pas tellement comment y répondre…
Je n’ai pas vécu le quotidien d’une mère avec son bébé, et pourtant j’ai le statut de « maman »… Au fond de moi, je me dis que j’ai une fille que j’ai serrée dans mes bras et qui avait mes yeux et mes mains… Cependant, quand je n’ai pas envie d’exposer ma vie privée, je réponds que je n’ai pas d’enfants. C’est en même temps un crève-cœur…
Pour finir, quel message souhaiterais-tu passer aux autres Mamanges ?
Votre bébé vous a choisi et vous serez pour toujours sa maman. Vous ne l’oublierez jamais et peu à peu la douleur s’effacera pour ne laisser que le souvenir heureux que vous avez donné la vie.
Notre bébé reste pour toujours au fond de notre cœur.
On croit que cette douleur si présente ne s’en ira jamais…qu’on ne redeviendra jamais nous-même… cependant, on arrive à avancer et à vivre avec. La douleur liée à la perte de son enfant est cruelle. Ce deuil est difficile à traverser. Il faut accepter qu’il y ait différentes étapes dans ce deuil, différentes phases à travers lesquelles on ressentira des sentiments différents (épuisement, colère, culpabilité…). Avoir mal dans ces circonstances est normal. Je dis ceci car après avoir perdu un enfant, on se sent différente, presque anormale. Chacun va traverser ce deuil différemment en cherchant des réponses et un apaisement en allant voir un psychologue, à travers des lectures, des groupes de rencontres de Mamanges, …etc. Il ne faut pas hésiter à se faire aider dans un premier temps auprès d’un professionnel ou d’une association. C'est important de dire tout ce qu’on ressent et il est souvent difficile d’aborder le sujet, même avec des personnes très proches. Il existe l’association SPAMA (Soins palliatifs et accompagnement en maternité), l’association nationale naître et vivre (www.naitre-et-vivre.org).
Voici deux livres que j’ai lu sur le deuil périnatal :
-Ma main dans la tienne – témoignage sur le deuil périnatal, d’Isabelle Verney.
-Le berceau vide, Marie-José Soubieux.
Et à ton entourage?
Merci de m’avoir écoutée, de m’avoir soutenue et d’avoir été présents quand j’en avais besoin. Merci de m’avoir laissé le temps pour me confier, d’être allé à mon rythme.
Je voudrais remercier Lucie pour ce témoignage très émouvant. J'espère qu'il pourra aider d'autres Mamanges ou des personnes qui en connaissent. Et je te souhaite un très beau bébé arc-en-ciel pour le futur...
